Patrick Gohet : 6 ans de lutte contre les discriminations

Après 6 années de mandat, Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits, a tiré sa révérence le 16 juillet 2020. Depuis 2014, il était chargé de lutter contre les discriminations et de promouvoir l'égalité. Bilan de cette expérience enrichissante.

Handicap.fr : Vous avez occupé différents postes dans le champ du handicap, de directeur général de l'Unapei à président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), en passant par délégué interministériel aux personnes handicapées. Qu'est-ce que vous a apporté celui d'adjoint du Défenseur des droits ?
Patrick Gohet : Parce que mon domaine a été celui de la lutte contre les inégalités et la promotion de l'égalité, j'ai pu mieux comprendre les différentes formes de discrimination auxquelles les personnes handicapées sont exposées en matière d'accès à l'emploi, à la santé, à l'école, à la culture, au logement, etc.

H.fr : Depuis vos débuts, quelles sont, selon vous, les évolutions majeures de la politique handicap ?
PG : La politique du handicap nait au début du siècle dernier. Les victimes de la révolution industrielle et de la Première guerre mondiale réclament réparation du préjudice qu'elles ont subi. Puis ce furent les malades de la polio, de la tuberculose, les parents d'enfants handicapés mentaux qui proposent une politique de réadaptation... Au cours des années 1980, la demande porte sur l'intégration. Plus tard, la loi du 11 février 2005 repose sur le concept de compensation. Aujourd'hui, c'est la notion d'inclusion qui est retenue.

H.fr : Alors que la politique handicap se veut de plus en plus inclusive, pensez-vous qu'elle se résume encore trop souvent aux structures associatives et autres établissements du médico-social ?
PG : Non, parce que, pour certaines formes et certains degrés de handicap, les structures associatives et les établissements médico-sociaux sont des moyens adaptés d'inclusion. En tous cas, c'est de cette manière qu'ils doivent être conçus. Les personnes en situation de handicap ont besoin de s'organiser pour être les porte-paroles d'elles-mêmes.

H.fr : Quelle qualité première le Défenseur des droits doit-il posséder, selon vous ?
PG : Etre un observateur objectif des phénomènes de société qui sont à l'origine des discriminations, des inégalités et des atteintes aux droits.

H.fr : Un dossier/une réclamation qui vous a particulièrement marqué ?
PG : La saisine d'une personne handicapée victime de discrimination dans l'exercice de son métier parce que handicapée et femme. L'inégalité résulte souvent de plusieurs critères de discriminations prohibés, c'est ce que les sociologues appellent l'intersectionnalité.

H.fr : Avez-vous constaté une multiplication des saisines des personnes handicapées depuis le début de la crise sanitaire ? A quelles difficultés majeures sont-elles confrontées ?
PG : Il est encore trop tôt pour faire une évaluation précise de la situation à partir des saisines parvenues au siège ou traitées par nos délégués. Pour autant, incontestablement, les besoins d'aide à domicile n'ont pu être totalement satisfaits tant ce secteur est scandaleusement sinistré. Par ailleurs, nous avons été en relation constante avec les associations et les organisations professionnelles. Les inégalités territoriales, l'isolement social des zones rurales et suburbaines, la fracture numérique, la dématérialisation abusive des procédures administratives, la disparition progressive de tant de services publics sont à l'origine de beaucoup de difficultés rencontrées par nos compatriotes au cours de cette période. La pandémie a confirmé ces pathologies de la société française.

H.fr : Cette période peut-elle, selon vous, favoriser le changement en matière de politique handicap ?
PG : Oui sans doute. Il s'agit d'aller plus loin encore dans les évolutions innombrables réalisées au cours des dernières décennies.

H.fr : Depuis la nomination du gouvernement Castex 1, l'absence d'un ministre dédié au handicap inquiète. Qui devrait incarner la politique handicap ? Quel format politique serait-il le plus adéquat pour optimiser son efficacité ?
PG : L'objectif est de combiner une politique globale de l'autonomie pour celles et ceux qui en manquent (du fait d'un handicap) et qui en perdent (du fait de l'avancée en âge) tout en répondant aux besoins et aspirations spécifiques de ces deux populations. Le Comité interministériel du handicap est un acteur important du dispositif. Il correspond aux recommandations européennes de transversalité. Le handicap appelle une politique globale impliquant l'ensemble des ministères, en particulier ceux que l'on qualifie de régaliens.

H.fr : Quelles sont les trois mesures phares à prendre en matière de handicap dans les prochaines années ?
PG : Franchir une deuxième étape pour passer de l'adaptabilité à l'accessibilité de l'ensemble de la Cité ; effectuer la même démarche en ce qui concerne les mobilités ; mener une action de sensibilisation du corps social qui doit comprendre que ce qui est fait pour nos concitoyennes et concitoyens handicapés apporte du mieux-être et du mieux-vivre à toutes et tous.

H.fr : Le défi majeur que devra relever votre futur(e) successeur(e) ?
PG : Poursuivre la prise en compte du critère de la « vulnérabilité économique » comme facteur majeur d'obstacle à l'accès aux droits et à l'égalité. Les effets destructeurs de la pandémie et l'évolution trop libérale de notre société rendent nécessaire cette orientation. Il convient de rappeler ici que la légitimité de notre société dépend de la solidarité de tous pour garantir la dignité de chacun.

H.fr : Qu'allez-vous faire maintenant ?
PG : Réintégrer l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) jusqu'à la fin du mois de janvier 2021, prendre ma retraite et, très vite, me réinvestir dans le secteur associatif.

H.fr : Quelques jours après la fin de votre mandat, un regret ?
PG : Ne plus pouvoir être présent lorsque la France comparaitra devant les instances de l'Onu pour exposer et défendre sa politique du handicap.

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