Départ : Toubon, ardent défenseur des personnes handicapées

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Fin de parcours pour le Défenseur des droits. Après 6 ans de lutte contre les discriminations, Jacques Toubon tire sa révérence, fort d'une cote de popularité à son apogée. Emploi, accessibilité... Il avait placé le handicap au cœur de son mandat.

 

« Mes fonctions de Défenseur des droits, nommé le 17 juillet 2014 par le président François Hollande, prennent fin le 16 juillet 2020. » Après une nomination tumultueuse et un mandat que beaucoup qualifient d'« exemplaire » et d'« inespéré », Jacques Toubon tire sa révérence. Six années passées à tenter d'annihiler les discriminations dans l'emploi, le logement, l'éducation et à défendre les droits des plus vulnérables… Le 1er juillet 2020, lors d'une ultime conférence de presse, l'heure est au bilan. Retour sur « les positions, les décisions, les combats, les réussites et échecs de notre jeune institution » et sur cette expérience « unique, exceptionnelle ».

Des discriminations persistantes en emploi

Durant son mandat, Jacques Toubon s'est attelé à « défendre et diffuser les droits des personnes handicapées », convaincu « qu'à travers le droit, le Défenseur peut faire société ». Pourtant, le handicap reste, en 2019, le premier motif de discriminations, loin devant l'origine et l'état de santé, totalisant 22,7 % des saisines (article en lien ci-dessous). Son rôle : alerter les pouvoirs publics sur ces inégalités, particulièrement prégnantes en emploi. Les entreprises d'au moins 20 salariés doivent employer 6 % de travailleurs en situation de handicap et ont une obligation d'aménagement raisonnable (adaptation du rythme de travail, du matériel, accessibilité des locaux, etc.). Or « dans la majorité des dossiers traités, cette obligation n'est pas respectée ». Pour y remédier, le DDD s'est employé, notamment à la faveur d'un guide sur l'aménagement raisonnable, à sensibiliser et informer les acteurs concernés (employeurs, juridictions...). « Ce n'est pas un accommodement, un truc qu'on bricole, c'est une notion juridique ! », rappelle-t-il.  En outre, par son « approche intersectionnelle » des discriminations, il a mis en lumière la double peine des femmes en situation de handicap dans un rapport dédié publié en 2016.

Des services publics délétères

Autre préoccupation majeure : « l'évanescence » des services publics et les effets « délétères » de leur dématérialisation. Leur difficulté d'accès a fait l'objet de plus de 60 000 saisines en 2019, soit 78,4 % de plus qu'en 2014, et d'un rapport de l'institution. « La dématérialisation des formalités administratives est une mesure parfaitement souhaitable, à une condition, que le système de numérisation puisse être utilisé par tous », soutient Jacques Toubon. Or, lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH), « le secrétaire d'Etat au numérique, Cedric O, a reconnu, avec beaucoup de loyauté, que plus de 90 % des sites publics n'étaient pas pleinement accessibles à toutes les personnes handicapées ». Pour changer la donne, le DDD mise, notamment, sur les 2 000 Maisons France service qui permettront, d'ici 2022, de simplifier la relation des usagers aux services publics en améliorant le dispositif existant des Maisons de services au public (MSAP).

Faire respecter les droits de l'enfant

Le Défenseur des droits a également été saisi des difficultés d'accès des enfants en situation de handicap aux établissements scolaires et à certaines activités péri et extrascolaires. « Nous nous sommes beaucoup battus pour l'égalité d'accès à la cantine et sommes presque arrivés au bout du chemin. Je fais le pari que, d'ici deux ans, le service public obligatoire de la restauration collective sera voté au parlement. Si je perds, vous viendrez me le dire ! », sourit-il. Autre combat mené : la fin des châtiments corporels. « Nous l'avons obtenu au sein de la famille mais, pour l'instant, rien n'est décrété pour le domaine éducatif ou institutionnel, constate-t-il. Pour pallier ce manque, il a récemment publié un guide à l'usage des intervenants sociaux, « un mode d'emploi sur les droits des plus jeunes mais aussi des plus précaires ». Depuis plusieurs années, des lanceurs d'alerte -autre préoccupation majeure du DDD- le saisissent sur les violences subies par certains résidents handicapés -cela concerne aussi les adultes- en établissements spécialisés (article en lien ci-dessous). Afin de promouvoir les droits de l'enfant, le Défenseur a créé la plateforme pédagogique « Educadroit » qui informe les jeunes tout en mettant de nombreuses ressources à disposition des parents, enseignants et intervenants. En parallèle, chaque année, une centaine de Jeunes ambassadeurs des droits (JADE) sensibilisent plus de 50 000 mineurs à leurs droits et à l'égalité en intervenant dans les établissements scolaires et les structures spécialisées (article en lien ci-dessous).

D'autres chantiers…

Autre chantier « massif » : les droits des majeurs vulnérables. Les recommandations émises dans son rapport de 2016 ont été reprises dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a reconnu à toutes les personnes relevant d'une mesure de protection juridique (tutelle) le droit de voter, se marier, se pacser et divorcer sans autorisation préalable du juge.
Les personnes handicapées ont, en outre, payé le prix fort de la décentralisation du stationnement payant. « A Paris, notamment, certaines doivent s'acquitter des 135 euros du forfait post-stationnement alors qu'elles bénéficient de la gratuité, regrette Jacques Toubon, à l'origine d'un rapport dédié. C'est un sujet sur lequel on va pouvoir avancer... » Le Défenseur se félicite tout de même des avancées obtenues sur la question de l'accessibilité des transports, logements, voiries et établissements recevant du public (ERP). Plus récemment, il a émis des réserves sur le projet de loi ELAN (Evolution du logement, de l'aménagement et du numérique) qui prévoit de réduire le nombre de logements accessibles et a formulé des propositions sur celui d'orientation des mobilités.

« Désinvoltures » à l'égard des droits fondamentaux

« Il faut être attentif à ces questions de société essentielles, celles qui concernent les personnes sans autonomie, âgées, handicapées, vieillissantes mais aussi beaucoup de personnes précaires, à la merci d'une société et d'institutions publiques qui n'ont peut-être pas pour premier réflexe de se demander comment il faut faire pour que ces dizaines de millions de personnes ne soient pas laissées pour compte ». Enfin, alors que son mandat s'achève en pleine crise sanitaire, le DDD s'inquiète de « certaines désinvoltures un peu préoccupantes à l'égard des droits fondamentaux ». « Va-t-on prolonger, maintenir, accentuer la restriction de la liberté de manifester au motif de l'état d'urgence ? », interroge-t-il. Par ailleurs, « nous avons quand même vécu un épisode (ndlr, le confinement) où, pendant quelques jours, il paraissait qu'on puisse décider dans notre pays qu'au-dessus d'un certain âge on resterait enfermé », poursuit-il. Et d'évoquer un « apartheid ».

Développer les effectifs et multiplier les saisines

« En ce qui concerne le handicap, je quitte cette fonction avec l'idée que notre pays a avancé depuis la loi de 2005 et, en même temps, qu'il reste beaucoup à faire... Si on veut que toutes les personnes handicapées soient des citoyens comme les autres, il faut tout d'abord que les campagnes électorales, tout comme les bureaux de vote, soient accessibles », insiste l'ancien ministre de la Justice. S'il note un « effort important » de la part du gouvernement, du secrétariat d'Etat et de l'Education nationale sur le sujet du handicap, il estime qu'il y a encore, malgré tout, « beaucoup d'occasions de trouver que les décisions prises ne sont pas satisfaisantes » et invite à saisir le Défenseur des droits, avant de s'inquiéter du « non recours ». « De nombreuses personnes se sentent discriminées mais ne vont rien faire pour redresser la situation », observe-t-il. Une situation, selon lui, « très préoccupante qui mine la cohésion sociale et l'égalité ». « En 2014, à ma prise de fonction, nous traitions 70 000 dossiers, contre 103 000 aujourd'hui. Je voudrais qu'on en traite 500 000. Nous pouvons le faire. », exhorte Jacques Toubon. Pour ce faire, un défi de taille est à relever : « développer les moyens et les effectifs de cette maison ». « Nous atteignons une intensité d'activité qui va dépasser le niveau admissible et menace d'engendrer des risques psychosociaux pour nos personnels », interpelle-t-il.

Bientôt une Défenseure des droits ?

Le gouvernement a proposé Claire Hédon, présidente de l'association de lutte contre la pauvreté ATD Quart Monde (article en lien ci-dessous), pour succéder au populaire Jacques Toubon. « Je tiens à saluer le travail de cet ardent défenseur des droits fondamentaux, notamment dans le domaine du handicap, se félicite Alain Rochon, président d'APF France handicap. Un mandat marqué par la défense des droits des enfants et des femmes en situation de handicap, de l'accessibilité et de l'éducation. » De son côté, le Collectif handicap, qui réunit 48 associations, salue une « belle mandature » et attend beaucoup de sa probable successeure.

Pour finir, un regret ? « Avec tout le bien que je vous ai dit de cette maison, c'est évident... celui de partir ! », confie Jacques Toubon, non sans émotion. Une dernière volonté ? « Que la République tienne la promesse d'égalité qu'elle a faite à toutes et à tous (...) Au travail ! »

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