Manel, 8 ans, épileptique : pas de vaccin, pas de sortie !

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11 mai, enfin le déconfinement ? Pas pour Manel, 8 ans. Trop risqué avec son syndrome de Dravet, une forme d'épilepsie. Son père, Adel Bounif, banquier poète, rivalise d'ingéniosité pour l'occuper. Dernière création ? Une épicerie Kinder à la maison.

 

Si de nombreux Français célèbrent le déconfinement, pour Manel, 8 ans, rien ne change. Elle fait partie de ceux que l'on appelle « les plus fragiles ». Ceux qui sont « privés de sortie » depuis plus de deux mois, à cause de ce foutu virus à couronne. La fillette souffre du syndrome de Dravet, une forme d'épilepsie rare d'origine génétique. En temps normal, elle fait une dizaine de crises par mois ; quand la fièvre ou l'anxiété s'en mêlent, ça monte à dix par jour. A chacune d'elle, elle perd un peu plus de neurones. Mis à mal, son petit cœur s'efforce de lutter mais combien de temps tiendra-t-il ? En France, 300 familles vivent constamment avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Sans parler des troubles alimentaires, cognitifs, de l'oralité, du sommeil, du comportement ou encore autistiques associés qui lui compliquent la tâche.

En attente d'un vaccin

Manel, non verbal, ne sait ni lire ni écrire, pas même dessiner. Son seul vecteur de communication ? Le toucher. Mais, à l'heure de la distanciation sociale et des gestes barrière, ce sens est mis à rude épreuve. « Sujette aux affections chroniques des voies respiratoires, si elle attrapait le Covid-19, ce serait catastrophique, redoute Adel Bounif, son papa. Dans ce contexte, hors de question de la laisser sortir tant qu'un vaccin n'aura pas été mis au point ». Mais pas facile de lui faire comprendre qu'elle doit rester à la maison, elle qui aime flâner dans les rayons des magasins pour dire bonjour aux passants, effleurer les paquets de gâteaux et autres confiseries. Le temps où elle se rendait à l'Institut médico-édcatif (IME) est un lointain souvenir. Kiné, orthophonie, psychomot... Sa prise en charge a été interrompue du jour au lendemain. Résultat : ses troubles, du comportement notamment, s'aggravent au fil des jours. « Elle devient plus agressive, n'écoute pas, renverse des bouteilles... Le calcul est simple : moins d'activité physique, donc plus de stress et plus de crise », poursuit Adel.

Une épicerie dans son garage

Seule solution pour l'apaiser ? L'emmener faire un tour au Leclerc. « Clerc, clerc », répète-t-elle inlassablement tous les matins. « Et, croyez-moi, quand elle a une idée en tête, elle est du genre tenace, troubles autistiques obligent », explique-t-il.  Anodins pour la plupart des gens, les génériques de film la passionnent. Elle peut rester des heures à contempler cette liste de noms défiler. Le supermarché, c'est un peu Disneyland pour elle. Chaque rayon lui provoque une émotion différente. Son favori ? Celui des Kinder. « Si nous ne pouvons pas aller au Leclerc, c'est le Leclerc qui viendra à nous », lui a promis son papa. Aussitôt dit, aussitôt fait, il installe une épicerie dans son garage. Etals de fruits et légumes, viennoiseries, conserves... tout y est, sans oublier les fameux Kinder et même les hôtes de caisse ! Le comble, c'est que ce n'est pas le chocolat qui l'intéresse, trop sucré à son goût, mais la surprise qui se trouve à l'intérieur. Quand elle commence à s'agiter, il lui propose de venir dans l'épicerie, passe derrière la caisse enregistreuse et hop, le tour est joué, la voilà aussitôt détendue et apaisée. Cette activité ludique s'avère également pédagogique. L'occasion de lui apprendre de nouveaux aliments, de lui faire calculer son nombre d'articles... « Je ne prétends pas être un spécialiste mais essaye au maximum de limiter la perte d'acquis », poursuit Adel. En parallèle, une éducatrice de l'IME appelle la famille une fois par semaine pour lui conseiller des activités.

De banquier à poète en passant par caissier

Spécialiste de l'épilepsie, en revanche,  Adel Bounif l'est devenu par la force des choses, comme il l'explique dans son dernier livre, Parents experts (Les éditions du Net). Un rôle qui prend tout son sens en cette période de confinement durant laquelle lui et sa femme doivent porter plusieurs casquettes : père, mère, infirmier, éducateur et, pour sa part, caissier ! Être parent d'un enfant en bonne santé, ce n'est déjà pas simple... Avoir un enfant en situation de handicap, c'est ouvrir les portes d'un monde parallèle, apprendre un nouveau vocabulaire, un nouveau lexique. C'est aussi découvrir des ressources insoupçonnées, acquérir progressivement une meilleure connaissance de soi et du monde qui nous entoure... Mais, au fil des années, l'âme et le corps s'épuisent. Employé de banque, il doit désormais travailler à mi-temps à cause de problèmes de santé. Pour s'évader de ce quotidien souvent éreintant, il écrit, des nouvelles, des poèmes... Le dernier en date évoque justement le confinement, à travers les yeux de Manel. Extrait :

Je peins sur les murs pour embêter maman.
Papa travaille à la maison pour le moment.
Je colle des stickers sur son écran.
Je profite de lui encore plus qu'avant !

A quand des réponses concrètes ?

Cette situation provoque une source d'anxiété supplémentaire, dans un quotidien loin d'être aisé. Comment ne pas perdre le fil entre toutes ces informations contradictoires de la part du gouvernement ? Le couple a tenu le coup durant deux mois, mais pour combien de temps encore ? Qu'en est-il des parents célibataires ? Beaucoup de questions restent sans réponse. Il a comme l'impression que les parents d'enfants handicapés sont une nouvelle fois délaissés, abandonnés... « Et ces réponses, nous ne les trouverons malheureusement pas dans des Kinder surprise », conclut-il.

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