A l'isolement 22h/24, Louca passe son temps à taper sur la porte quand il n'essaye pas de se faire du mal. L'hôpital psychiatrique, seule solution proposée à ce jeune autiste et sourd. A bout, ses parents réclament la création d'une unité sur-mesure.
Louca, 17 ans, sourd, autiste et atteint du syndrome de Waardenburg Klein de type 2 -une maladie génétique qui se caractérise notamment par des anomalies de la pigmentation et des malformations au niveau du visage-, est enfermé dans une chambre d'isolement 22h/24 avec, au mieux, quatre sorties quotidiennes de trente minutes. Une chambre vide, qui plus est, pour éviter que le jeune homme ne se blesse, avec pour seule compagnie un modeste matelas et une bassine faisant office de latrine. Seules occupations ? Avaler des objets et taper sur la porte, quand il n'essaye pas d'intenter à sa vie... Uns situation « effroyable », « inhumaine », voire « criminelle » qui dure depuis le 27 octobre 2020, pointent ses parents, désespérés, indignés, démunis, qui militent pour qu'il ait le droit de vivre « dignement ».
Ejecté de quatre structures
« Sa place n'est pas dans un hôpital psychiatrique mais dans un établissement médico-social », martèle le couple depuis plusieurs mois, « épuisé » par cette quête chronophage d'une prise en charge adaptée. « Nous ne travaillons plus ni l'un ni l'autre, nous n'avons plus de liens sociaux », confie-t-il, assurant avoir « vécu l'enfer pendant d'innombrables années en implorant de l'aide ». « Toutes les prises en charge ont mal tourné, faute de structure adaptée et de professionnels aguerris », poursuit-il. Après avoir été éjecté de quatre structures différentes, Louca est admis, en 2010, dans un Institut médico-social pour jeunes sourds avec handicaps associés, non spécialisé dans les troubles du spectre de l'autisme. Il a alors six ans. Ses troubles du comportement rendent son adaptation très difficile mais « nous tenons tous bon », assurent les parents… Jusqu'à ses 12 ans et son entrée chez « les grands », où une plus grande autonomie est requise.
« Mise en danger vitale »
Louca change de groupe, de référent, perd ses repères. « C'est l'hécatombe ! », déplorent-ils. Ses accès de colère se multiplient, à l'IME comme à la maison. « La violence de Louca est tellement démesurée qu'elle se rapproche de la folie », écrira l'infirmière du centre, « ce qui est vrai », concèdent-ils. Leurs échanges s'enveniment. L'IME les accuse de ne pas lui donner ses traitements et émet un signalement au procureur de la République, en mai 2019, pour une injonction aux soins « afin que l'état prenne ses responsabilités ». Une situation pesante pour Louca, dont l'état se dégrade. En novembre, il commence à se faire vomir au point de perdre 17 kilos en quelques mois. En décembre, le médecin de famille lui signe un arrêt pour « mise en danger vitale ».
L'escalade de la violence
Après des années d'attente, « nous obtenons enfin une éducatrice spécialisée dans les TSA mais, dépassée par le comportement de Louca qui veut tout avaler et exprime son désir de lui faire du mal, elle demande son placement dans un hôpital psychiatrique, expliquent les parents. Nous acceptons, de peur que le centre nous reproche encore de faire preuve de mauvaise volonté. » Le début du « calvaire »… Louca effectuera ensuite plusieurs allers-retours entre son domicile, l'hôpital et l'IME, au sein d'un groupe qui « le met en difficulté et lui fait peur ». Le reprendre à plein temps à la maison ? « De la folie », selon ses parents car il représente « un danger pour lui-même, pour eux, pour ses sœurs ». Quelques mois plutôt, il menaçait l'une d'elles de lui planter un couteau dans le ventre « par curiosité ». « Chez nous, Louca est ingérable, il hurle, casse, frappe, cogne, se fait vomir, enduit son corps de ses selles, avale les cailloux, le gel douche… », se désolent ses parents, contraints de le surveiller nuit et jour. « Pour lui, la vie est insupportable, il veut mourir pour renaître en 'Loucas facile' et nous en veut de ne pas accéder à sa demande », poursuivent-ils.
Créer une unité sur-mesure : une bouteille à la mer ?
Pour protéger leur fils mais aussi leur famille, ils décident de le renvoyer en HP, sans alternative… « Rien n'est prévu pour aider et soulager les parents des crises clastiques de nos enfants », regrettent-ils. Alors, ils interpellent les associations, les avocats, les ministres et crient « leur détresse, leur rage, leur désespoir». En vain. Toujours la même réponse : il n'existe pas de structure adaptée. Ils demandent une dérogation pour un FAM (Foyer d'accueil médicalisé) ou une MAS (Maison d'accueil spécialisé). La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) accepte mais il n'y a aucune place disponible, d'autant que Louca « requiert un accompagnement permanent trop lourd à gérer humainement ». A bout de force, ils réclament aujourd'hui la création d'une « unité sur-mesure et adaptée » en Gironde. Mais leur requête reste pour le moment lettre morte. Réponse de l'Agence régionale de santé ? Il faut remettre Louca dans son ancien IME, en internat cinq jours par semaine, en renforçant le personnel encadrant. Une « proposition incompréhensible et lamentable », selon les parents, car « Louca a déjà mis en échec cet accompagnement ».
Des projets d'unités résidentielles
La situation de Louca n'est pas sans rappeler celle de Dimitri Fargette, 40 ans, autiste, « incarcéré », selon sa famille, durant 17 ans en hôpital psychiatrique puis placé dans une Unité pour malades difficiles (UMD) où il est maintenu attaché, sous camisole chimique avec pas moins de quarante médicaments par jour (article en lien ci-dessous). Et ils sont loin d'être des cas isolés… Sur les 600 000 personnes autistes estimées en France, ils seraient environ un millier d'adultes avec des troubles si sévères qu'aucune solution ne leur est proposée. Faute de mieux, certains s'exilent en Belgique… La Délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme et les TND ne nie pas ce constat. Pour y mettre un terme, la stratégie autisme prévoit la création de petites unités résidentielles, avec six personnes maximum qui s'appuieront sur les établissements médico-sociaux et le secteur sanitaire, notamment psychiatrique (article en lien ci-dessous). 4,4 personnes (éducateurs, aides, médecins…) en équivalent temps plein sont prévues pour assurer l'accompagnement 365 jours par an et 24h sur 24. Cet écosystème doit permettre de gérer les crises éventuelles et d'assurer la continuité des prises en charge lors des hospitalisations et prévoit des temps d'échange avec les familles. Objectif ? Offrir à ces « reclus de la société » un « lieu de vie pérenne » et « digne »… Mais pas avant 2022.
Contactée par Handicap.fr, la Délégation à l'autisme assure avoir pris « connaissance du dossier » de Louca. Jugeant cette situation « intolérable », elle assure vouloir « construire avec les acteurs des solutions ». La maman nie pourtant avoir eu le moindre contact avec elle, même si elle obtenu une réponse de Jean Castex… Une réunion a été organisée le 1er avril, en présence de l'ARS et d'acteurs locaux. Ils promettent des « démarches » et « recherches » qui doivent « être menées au plus vite ». « D'ici-là, on fait quoi ? », interpelle la famille du jeune homme. Une date buttoir, pour une solution même temporaire, a été fixée par l'ARS au 26 avril. Sans grand espoir…