Fratries d'enfant handicapé : comment les accompagner ?

Quelle écoute pour les frères et sœurs confrontés à la maladie ou au handicap d'un des leurs ? De rares groupes de parole, pas de lieux de soin, pas d'asso dédiées... Ne sont-ils pas pour autant des " victimes " à part entière ?

 

Dans une première interview, Muriel Scibilia, auteure de Sortir de l'ombre : les frères et sœurs d'enfants gravement malades, dévoile les mécanismes qui se mettent en place dans la fratrie « valide » pour faire face à une situation familiale douloureuse (article en lien ci-dessous). Dans ce second volet, elle livre quelques conseils pour prendre soin d'une souffrance en marge, souvent silencieuse : prise de conscience des parents, unités de soins, associations dédiées…

H.fr : Comment accompagner les fratries confrontées à la maladie grave ou au handicap ?
MS : Il y a plusieurs niveaux. Tout d'abord, il importe que les parents soient attentifs à toutes sortes de signes afin de limiter les effets secondaires à moyen et long termes. Cependant, ils ne sont pas toujours les mieux placés. Avoir un enfant gravement malade ou sérieusement handicapé peut être extrêmement difficile à vivre, c'est une blessure narcissique. Cela peut aussi entraîner une relecture de leur histoire ou une remise en question leurs capacités. Imaginer que les autres enfants puissent aller mal leur est tout simplement insupportable, ce qui peut induire une sorte d'aveuglement. Prenons l'exemple de Michael, l'un des douze témoins de mon livre, qui a donné ses cellules à son frère. Durant la maladie, la famille est très soudée autour de ce frère qui risque de mourir. Finalement, il s'en sort et c'est au moment où il va mieux et où la famille retrouve un semblant d'équilibre, qu'un beau matin Michael ne peut plus se lever et bascule durant un an dans une profonde dépression. Personne n'a fait le lien avec la maladie de son frère. Si on ne met pas en place un minimum de prévention, voilà ce qui peut arriver.

H.fr : Existe-t-il des unités de soins pour les accueillir ?
MS : Certains hôpitaux proposent des prises en charge des fratries : groupes de parole ou mise à disposition de psychologues. Les médecins sont conscients de ne pas en faire assez mais ils n'ont ni le temps ni les moyens de proposer beaucoup plus. Il importe que les parents osent demander de l'aide, ce qu'ils ne font pas toujours pour des raisons culturelles ou parce qu'ils ont honte d'avoir un enfant malade ou handicapé. Les grands-parents peuvent être d'importants soutiens, notamment parce qu'ils permettent aux frères et sœurs de retrouver une place « d'enfant de la famille ». Les amis sont aussi des atouts précieux car, tout en connaissant la situation familiale, ils sont moins impliqués émotionnellement. Il ne faut pas négliger le rôle des associations ; certaines organisent des visites ou des voyages auxquels elles invitent les fratries. D'autres proposent des « groupes fratries » ; ces lieux d'échanges permettent de libérer la parole dans un cadre rassurant, voire de permettre aux fratries de provisoirement redevenir des enfants. J'espère que, grâce à mon livre, de nouvelles initiatives vont émerger.  

H.fr :  Peut-on trouver des associations réellement dédiées à cette problématique ?
MS : Elles sont rares, contrairement aux associations d'aidants. On peut toutefois citer l'Association nationale de sœurs et frères de personnes handicapées (ASFHA) ou l'Association de sensibilisation, de soutien et d'information à destination des fratries de personnes en situation de handicap mental (FratriHa), qui relèvent du champ du handicap mental. Le site d'information de l'association APF France handicap sur l'infirmité motrice cérébrale propose également une rubrique avec des témoignages de frères et sœurs.

H.fr : Avez-vous observé que ces frères et sœurs redoutent parfois d'avoir des enfants ?
MS : Toutes les histoires sont différentes. Il est clair que l'entrée dans la maternité ou la paternité est un passage encore plus particulier pour ces frères et sœurs. Pour Florence, le cancer de son frère ne l'a pas empêchée d'avoir trois enfants. Toutefois, elle a ressenti de très profondes angoisses chaque fois qu'ils arrivaient à l'âge auquel son frère était tombé malade. Ce qui est très réjouissant, c'est que, sur les douze jeunes avec lesquels j'ai travaillé, trois sont devenus parents après avoir témoigné. Il est possible que le fait d'avoir pu, pour la première fois, extérioriser des pans de leur histoire, raviver certaines émotions et mettre des mots sur leurs sentiments ait permis de débloquer des énergies et de se remettre en mouvement. Cinq autres, arrimés jusqu'alors au cocon familial, ont réussi à couper le cordon et sont partis étudier ou travailler à l'étranger.

H.fr : Aucun d'eux n'avait été suivi par un psychologue ?
MS : Certains ont refusé cette aide estimant que « les psy, c'est pour les fous ». D'autres ont éprouvé le besoin d'entamer une thérapie pendant que nous travaillions sur le livre. Enfin, deux ont découvert combien leur vie avait été affectée par la maladie de leur frère une fois le livre terminé et ont décidé de se faire aider par un thérapeute pour mieux comprendre leur histoire.

H.fr : A-t-on tendance à minimiser l'impact de ces situations sur les fratries ?
MS : Oui. Le spécialiste en psychologie Nago Humbert, qui a créé le service de soins palliatifs pédiatriques à l'hôpital Sainte-Justine au Québec, estime que les frères et sœurs sont ceux qui paient le plus lourd tribut à la maladie. En cas de décès, l'entourage est très empathique à l'égard des parents tandis que la blessure des frères et sœurs est minimisée avec des phrases du type : « Ce n'est que ton frère ». Pour Jacques Lecomte, spécialiste en psychologie positive, il faut accorder le statut de victime aux frères et sœurs au même titre que pour les enfants battus ou violentés. Dès lors que le corps social, les parents mais aussi le frère ou la sœur reconnaissent ce statut de victime, les fratries peuvent exprimer leur souffrance et s'en servir de tremplin pour, enfin, tourner la page.

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