Si la maternité est une période heureuse pour beaucoup, elle peut aussi révéler des fragilités psychiques. Pour une prise en charge adaptée en cas de dépression post-partum, le Dr Mottet, psychiatre, a créé un pôle périnatalité dédié dans la Drôme.
Handicap.fr : Quelle est l'origine de la dépression post-partum ?
Dr Gonzague Mottet, médecin psychiatre et pédopsychiatre : Rappelons tout d'abord que l'on appelle « post-partum » la première année après la naissance. Tout le monde connaît le «baby blues » dans les jours qui suivent l'accouchement mais la période la plus critique se situe autour du troisième ou quatrième mois du nourrisson. Ce trouble, qui concerne 10 à 15 % des mères, peut toucher n'importe quelle femme, de n'importe quel milieu (article en lien ci-dessous). Si certaines présentaient déjà, en amont, plusieurs fragilités, d'autres semblaient, jusqu'alors, en bonne forme, relativement bien entourées et n'avaient pas d'antécédents psychiques.
H.fr : Quels en sont les symptômes ?
GM : Troubles du sommeil, anxiété, inquiétude, difficultés à demander de l'aide et à récupérer... Concrètement, les femmes n'arrivent plus à être disponibles et à s'occuper de leur bébé. Elles tombent alors dans une spirale qui mêle épuisement physique et psychique et culpabilité.
H.fr : Face à ce constat, quel est l'enjeu des pôles de périnatalité ?
GM : Ils sont essentiels à deux niveaux : l'aspect préventif mais également la prise en charge particulière qu'ils proposent. Les dépressions post-natales nécessitent de faire preuve d'une très grande réactivité et disponibilité. Dans un établissement psychiatrique classique, les patients doivent parfois attendre plusieurs mois pour obtenir un rendez-vous, ce qui est inconcevable dans la périnatalité où les choses doivent aller très vite. L'aide prodiguée ne s'adresse pas seulement à la femme -d'ailleurs, rappelons qu'il existe aussi des dépressions post-partum chez les hommes, même si c'est bien plus rare-. C'est comme un berceau protecteur qui s'occupe de tout l'entourage. L'enjeu est d'accompagner le couple, le bébé et les aidants aussi (famille, amis).
H.fr : Quelle est la difficulté pour les professionnels ?
GM : Outre les éléments cliniques présentés par les patientes, ils doivent également prendre en compte les éventuels éléments annexes : fragilités antérieures, toxicomanie, épisodes post-traumatiques, dégradation psycho-sociale, difficultés d'accès à la parentalité, etc. C'est un grand mélange qui explose brutalement au moment de la naissance de l'enfant. Des regards croisés, autrement dit des personnes qui ont des expériences et des formations différentes, sont nécessaires pour une prise en charge efficace.
H.fr : Quelle est la spécificité de celui que vous avez créé ?
GM : L'Unité de psychiatrie périnatale (UPP) est une unité fonctionnelle d'une clinique psychiatrique plus vaste, réservée aux femmes, La Cerisaie, appartenant à l'établissement médical de la Teppe situé à Tain-l'Hermitage, dans la Drôme. Depuis octobre 2020, l'UPP propose des hospitalisations, des accueils de jour, des consultations spécialisées et des visites à domicile. Les mamans peuvent notamment prendre part à des groupes de parole ou thérapeutiques orientés vers la rencontre de bébé, la psychomotricité, le deuil périnatal, l'art-thérapie. Des ateliers sont également réservés aux papas. La même équipe de sept personnes, composée notamment d'un pédopsychiatre, d'une psychologue, d'infirmières, d'une art-thérapeute et d'une psychomotricienne travaille sur ces quatre temps de la prise en charge. En parallèle, depuis une vingtaine d'années, nous avons un partenariat avec les maternités du secteur qui tentent de repérer, durant la grossesse, des femmes présentant des vulnérabilités et essayent de les inclure dans un parcours de soin.
H.fr : Quelle est généralement la problématique des patientes admises ?
GM : Il n'y a pas vraiment de problématique prédominante, chaque femme a ses propres particularités. Nombre de nos patientes présentent des fragilités psychiatriques préexistantes tandis que, pour d'autres, la maternité agit comme un déclencheur. En effet, la dépression post-partum est une entrée fréquente dans les troubles bipolaires. C'est souvent l'un des premiers éléments à apparaître, même si toutes les femmes n'y sont évidemment pas confrontées. Autres motifs de consultation : difficultés dans la construction de l'identité ou l'acceptation de la parentalité, ancienne toxicomanie, traumatismes physiques ou sexuels, fragilités de couple...
H.fr : Et plus particulièrement celles des femmes avec un handicap psychique ?
GM : Tout dépend de la nature du trouble. Les femmes qui présentent une schizophrénie, par exemple, ont souvent du mal à exister pour elles-mêmes (prendre leurs propres décisions, être en relation avec les autres) et, forcément, le fait de devenir mère n'arrange rien... Pour celles présentant des symptômes dépressifs, devenir mère c'est aussi assumer la responsabilité d'un autre individu, la prise de conscience d'une trajectoire humaine et d'angoisse de la mort, une fatigue intense, un déséquilibre notamment au niveau du sommeil... D'autre part, certaines femmes présentant des troubles psychiques qui avaient trouvé un équilibre avec un traitement doivent parfois l'arrêter, le changer, pour préserver leur bébé, et c'est aussi un moment de grande fragilité.
H.fr : Comment les accompagnez-vous ?
GM : Nous proposons un suivi médical qui essaye de déséquilibrer le moins possible le traitement en cours mais aussi un suivi psychologique pour travailler en profondeur sur les aménagements et les bouleversements que provoque la parentalité. Ce sont souvent des femmes qui ont du mal à être prises en charge dans les services médicaux ordinaires, il faut donc faire un travail de coordination pour assurer un meilleur suivi médical dans les maternités. Nous travaillons également beaucoup sur les liens avec les personnes de confiance, comme les aidants, et les orientons également, si nécessaire, vers des structures instituées et notamment des techniciennes de l'intervention sociale et familiale (TISF).
H.fr : Les conséquences de la dépression post-partum sont-elles sous-estimées, selon vous ?
GM : Si cela a longtemps été le cas, les professionnels en prennent de plus en plus conscience, sont mieux formés et plus attentifs. En revanche, ce qui pèche c'est le manque de lieux de prise en charge et de soin. En France, beaucoup de zones sont très pauvres en structures spécialisées.
H.fr : En l'absence de pôle de périnatalité, vers qui les femmes peuvent-elles se tourner ?
GM : Lors de la grossesse, il faut avant tout s'appuyer sur les maternités et les sages-femmes qui connaissent bien le réseau local. Par la suite, en cas de dépression post-partum, il faut interpeller les professionnels habituels (médecin traitant, sage-femme, protections maternelle et infantile). Ces professionnels de terrain sauront au plus vite vers qui les orienter. L'enjeu majeur : ne pas perdre de temps !
H.fr : Un message à faire passer ?
GM : La naissance et la maternité sont des périodes heureuses pour la grande majorité des parents mais elles peuvent également s'avérer compliquées, et il ne faut pas minimiser cette difficulté. Les femmes ne doivent pas hésiter, avoir honte ni penser qu'elles ne sont pas légitimes pour demander de l'aide. Toutes les situations ne sont pas « gravissimes », une aide très ponctuelle peut également faire beaucoup de bien.