Pour les personnes handicapées, l'accessibilité numérique n'est pas une option, d'autant qu'elle concerne une personne sur cinq. Une urgence renforcée par le confinement. Quelles mesures à prendre ?
Pour les personnes handicapées, "l'accessibilité numérique est indispensable", estime Fernando Pinto Da Silva, vice-président du Conseil national consultatif des personnes handicapées, pointant le retard de la France et "l'impatience" de cette population, deux fois plus concernée par le chômage. Cinq questions…
Question: Qu'est-ce que l'accessibilité numérique ?
Fernando Pinto Da Silva : Le principe c'est que quel que soit le contenu numérique qu'on vous propose, vous devriez y avoir accès sans distinction de sexe, d'âge, de situation ou de handicap. En France, ce sujet apparaît dès la loi handicap du 11 février 2005 et il y a eu ensuite un certain nombre de dispositions légales, mais cela n'a pas beaucoup bougé. En 2016, une directive européenne fixait l'obligation pour l'ensemble des sites publics de présenter d'ici au 23 septembre 2020 une déclaration de conformité ou bien un schéma pluriannuel prévoyant l'accessibilité d'ici trois ans, sauf qu'il ne s'est pas passé grand-chose. On peut faire un parallèle avec l'accessibilité du cadre bâti ; c'est comme si des architectes découvraient aujourd'hui que ce n'est pas une super idée de mettre des marches partout.
Q : L'accessibilité numérique concerne combien de personnes ?
FPDS : Une sur cinq, c'est-à-dire que ne pas la respecter, c'est mettre 20% de la population sur le bord de la route. Il y a une forme d'impatience de la part des personnes en situation de handicap à qui l'on dit depuis une quinzaine d'années 'on va le faire'. Pour eux, ce n'est pas une option, c'est juste indispensable.
Q : Quelle est l'incidence sur le travail et l'emploi?
FPDS : Déjà, on se rend compte que les éditeurs de logiciels, de progiciels, de services intranet, internet ou extranet souvent ne respectent pas ce droit et beaucoup ne sont pas accessibles au plus grand nombre. Cela se ressent encore davantage depuis le 17 mars, au moment du confinement, car nombre de personnes handicapées ont dû s'organiser pour télétravailler ou bien n'avaient que le numérique pour maintenir un lien de communication. Certains se sont rendu compte que les outils étaient inadaptés et qu'ils ne pouvaient pas travailler depuis un ordinateur portable, d'autres qu'ils ne pouvaient pas faire des courses sur internet ou assurer la continuité pédagogique pour leurs enfants car les systèmes étaient mal conçus. Pour les enseignants déficients visuels par exemple, le bureau à distance de Pronote (logiciel scolaire, ndlr) n'était pas accessible.
Q : Un autre exemple ?
FPDS : Les personnes aveugles qui utilisent des logiciels de lecture vocale ne peuvent pas faire une recherche d'offre d'emploi convenable sur le site de Pôle emploi. Pour un public qui est déjà deux fois moins en emploi que le reste de la population, cela pose question. Au-delà de l'emploi, aujourd'hui seules 12% des démarches en ligne proposées par les services publics sont accessibles, c'est ridicule. S'il est certain que cela n'est pas volontaire, cela témoigne quand même d'une forme d'ignorance des autres situations, et notamment de handicap.
Q : Quelles mesures pourraient être prises ?
FPDS : On peut monter des plans d'action et d'accompagnement pour aider les personnes handicapées à aller vers le numérique. Il faut aussi absolument faire rentrer ce sujet dans la formation initiale et continue des développeurs et avoir le courage de mettre des clauses suspensives dans les marchés publics pour que l'accessibilité soit respectée. Les employeurs, de leur côté, ont la responsabilité de s'assurer individuellement que chaque salarié a matériellement des bonnes conditions de travail et faire des choix pertinents de logiciels. C'est essentiel de se poser ces questions car le télétravail peut parfois mieux convenir que le présentiel, ça peut être une vraie chance de retour à l'emploi pour des personnes handicapées.