La détonante "Opérette" burlesque avec 6 acteurs handicapés

Tour à tour carnavalesque, absurde et sarcastique, "Opérette" fait virevolter les jeunes élèves du Théâtre national de Bretagne et les acteurs handicapés de l'atelier Catalyse dans une mise en scène burlesque.

 

D'un côté, il y a les aristocrates en haut-de forme, maniérés et sûrs de leurs privilèges de classe. De l'autre, les valets en livrée, avec leur "gueule de valets", sur lesquels pleuvent les injonctions de faire rutiler les bottes de leurs maîtres. Entre ces mondes irréconciliables, la révolution du prolétariat gronde. Opérette, l'oeuvre du subversif de Witold Gombrowicz, l'un des plus grands écrivains polonais du XXe siècle, qui fut interdite en Pologne par les nazis puis les communistes, ne saurait faire triompher une idéologie plutôt qu'une autre. C'est cet univers haut en couleur et baroque à l'absurde que les metteurs en scène Madeleine Louarn et Jean-François Auguste ont choisi pour leur nouvelle création, jouée au Théatre national de Bretagne, à Rennes, du 8 au 16 octobre 2020.

6 comédiens avec un handicap mental

Opérette est le fruit de trois années d'une collaboration entre les vingt élèves de l'école du TNB, la première promotion depuis la réforme du concours d'entrée en 2018 par son directeur Arthur Nauzyciel, et les six comédiens handicapés mentaux de la compagnie morlaisienne Catalyse de Madeleine Louarn, consacrée à Avignon. "On voulait voir ce que pouvait apporter à de jeunes acteurs le fait de devoir travailler avec des personnes qui gardent une part de mystère et ont des réponses un peu décalées, et comment ces jeunes acteurs pouvaient réinterroger leur propre pratique d'acteurs à travers ces rencontres", explique Mme Louarn, ancienne éducatrice, qui travaille de longue date avec l'établissement d'aide par le travail (Esat) des Genêts d'Or, à Morlaix. "Nos ateliers n'ont jamais été thérapeutiques, mais artistiques. On inscrit les gens dans un geste artistique, et ce qui nous intéresse c'est la singularité de l'acteur, qu'il soit en situation de handicap ou pas", souligne Jean-François Auguste.

Galerie de personnages fantasques

Par sa légèreté, sa galerie de personnages fantasques, ses interludes musicaux interprétés en direct par les acteurs, l'oeuvre de Gombrowicz se prête assez bien au projet breton. Les acteurs du TNB et de Catalyse ont travaillé en binôme, un même personnage ayant deux interprètes différents au cours du spectacle. "On a choisi ce texte pour sa fantaisie et sa radicalité. Les acteurs ne peuvent pas jouer en demi-teinte et notre travail a consisté à trouver une possibilité d'égalité, d'équivalence entre eux", commente Madeleine Louarn. "Il ne s'agit pas de jouer tous de la même façon car chacun a forcément sa particularité, mais d'avoir le même engagement, la même intensité de présence", poursuit-elle.Les premières répétitions ont commencé en juin et les acteurs de Catalyse ont également répété pendant le confinement, par vidéo-conférence. La mise en scène en quadri-frontal n'est pas avare en clins d'oeil, tel ce personnage de Lady Dascalie qui roule en patins à roulette et interpelle les acteurs.

Des acteurs pas parasités

Les thèmes abordés par Gombrowicz, la jeunesse, la représentation de soi en société, le masque, l'habit et la nudité, font écho à l'expérience vécue par les acteurs, dont les identités -sexuelle et de genre- ont été volontairement enchevêtrées. Les élèves du TNB, qui commencent leur dernière année de formation, se disent séduits par l'expérience. "J'ai tout de suite senti que les acteurs de Catalyse avaient beaucoup à nous apprendre de par leur rapport au présent, un rapport plus direct au théâtre. Ils sont pleinement là, pleinement eux-mêmes alors que quand on est jeune acteur, on a tendance à être parasités par de fausses questions souvent liées à l'ego", confie Hinda Abdelaoui, 26 ans. "On apprend à être plus spontanés. Ils sont une émotion vive, ils ne se retiennent pas comme nous qui sommes bridés avec des masques sociaux", abonde Mathilde Viseux, 24 ans. Manon Carpentier, 22 ans, actrice avec une trisomie, a elle apprécié de "travailler avec d'autres personnes". "Travailler en binôme nous apporte d'autres manières de jouer notre rôle. Ils nous acceptent comme on est et inversement".

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