En ratifiant la Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées en 2010, la France s'est engagée à garantir leur effectivité. Pourtant, 10 ans plus tard, le Défenseur des droits publie un rapport qui pointe des lacunes persistantes.
L'Etat respecte-t-il ses engagements internationaux en matière de handicap ? Dix ans après l'entrée en vigueur, en France, de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), le Défenseur des droits (DDD) publie, le 8 juillet 2020, son premier rapport d'appréciation sur sa mise en œuvre (en lien ci-dessous). Il dresse un bilan contrasté car, « si, indéniablement, de nombreux progrès ont été réalisés ces dernières années, d'importantes lacunes subsistent ». Selon lui, « la France n'a pas encore pleinement pris en considération le changement de modèle que ce texte induit ». Pour changer la donne, avant de tirer sa révérence (article en lien ci-dessous), Jacques Toubon formule 120 recommandations pour une application (enfin) effective des droits des personnes handicapées.
Définition du handicap à revoir
Dans le cadre de son activité de protection des droits, le DDD s'emploie à promouvoir la CIDPH en tant que norme juridique dans le traitement des réclamations et à faire évoluer l'interprétation du droit, conformément à la Convention. Depuis 2011, il a ainsi adopté 330 décisions relatives au handicap. Premier constat de ce guide de 109 pages : « La définition nationale du handicap, introduite par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, n'apparaît pas conforme à la Convention. Axée sur la déficience, elle n'identifie pas l'environnement comme un 'facteur causal' sur lequel il convient d'agir, au même titre que sur les déficiences et incapacités, pour prévenir ou remédier aux situations de handicap ». Il lui reproche de « mettre l'accent sur les réponses à apporter en matière de compensation individuelle des conséquences du handicap plutôt que sur la transformation de l'environnement pour assurer une société ouverte à tous ». Or, selon lui, les deux approches doivent être conjuguées.
Les femmes et les enfants d'abord ?
Le rapport met également en exergue l'absence des femmes et des filles handicapées dans les études, les politiques publiques et les plans en faveur de l'égalité. « Elles sont invisibles dans de nombreuses sphères de la société », observe-t-il. Pour pallier ce manque, le DDD recommande notamment d'introduire une dimension « genrée » dans toutes les données et statistiques relatives aux personnes handicapées. Ces discriminations sont particulièrement prégnantes dans le domaine de l'emploi où les femmes handicapées subissent une double peine qui, selon lui, limite leur choix d'orientation professionnelle et leurs possibilités d'accès ou de retour à l'emploi. Autre public, même constat. En 2019, le DDD a reçu 3 016 réclamations relatives aux atteintes aux droits de l'enfant, dont 17,2 % sur le handicap et l'état de santé. L'autorité indépendante plaide pour une approche transversale des politiques publiques afin d'apporter des réponses adaptées aux besoins de tous les enfants, quel que soit leur handicap. Il demande également de prendre en compte la situation des enfants handicapés dans les programmes destinés à lutter contre les violences. Leitmotiv : ils ont un risque quatre fois supérieur d'y être confrontés.
De la nécessité de sensibiliser
Pour la troisième année consécutive, le handicap reste le premier motif de discriminations (article en lien ci-dessous). Pour y mettre un terme, le DDD somme le gouvernement d'organiser, dans les meilleurs délais, une campagne nationale de sensibilisation à destination de l'ensemble de la population afin de lutter contre les stéréotypes et préjugés à l'égard des personnes handicapées. Les associations attirent, en particulier, l'attention sur la nécessité de déployer des actions en faveur des handicaps mental et psychique. A ce titre, le rôle des médias est également primordial. Or, selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la représentation du handicap reste très marginale (0,7 %) peu diversifiée en termes d'âge et de sexe et très stéréotypée. Le DDD compte sur la Charte relative à la représentation des personnes handicapées et du handicap dans les médias audiovisuels, signée en 2019, pour inverser la tendance (article en lien ci-dessous).
Covid-19 : manque de réponses adaptées
Le Défenseur des droits déplore également des inégalités dans l'accès aux droits selon le lieu de résidence et l'âge auquel leur handicap survient et appelle à une uniformisation des pratiques. En outre, « l'obligation d'aménagement raisonnable n'est expressément reconnue, en droit national, qu'en matière de travail et d'emploi et devrait être étendue aux autres droits », suggère-t-il. Le DDD est intervenu à plusieurs reprises auprès du gouvernement et des parlementaires pour demander la mise en conformité de la législation nationale avec les exigences de la Convention, « en vain », pointe le guide. Et la pandémie de Covid-19 n'a rien arrangé... « La crise sanitaire a mis en évidence les difficultés, pour les pouvoirs publics, à concilier les enjeux de santé publique avec la nécessité d'une réponse appropriée aux besoins spécifiques des personnes en situation de handicap afin de préserver non seulement leur santé mais aussi leurs droits et libertés », estime le DDD. S'il salue la mise en œuvre de plusieurs mesures dans un temps très court, il déplore une approche « sanitaire du handicap ayant eu pour effet d'assimiler a priori les personnes handicapées à des individus 'à risque' ainsi que le manque de réponses adaptées : solutions de répit, matériel de protection pour les aidants ou encore interruption des soins et de l'accompagnement indispensables au handicap », entraînant la fragilisation des familles concernées.
Accessibilité : un retard Français
Mauvais point pour l'accessibilité. Le Défenseur constate des « réticences persistantes » des pouvoirs publics à appréhender ce sujet comme une condition préalable essentielle à la jouissance effective des droits. Commerces, transports en commun, voirie, tribunaux, lieux de santé, de loisirs... Il y a « une absence d'accessibilité de la totalité de la chaîne de déplacement », constate-t-il, déplorant également que la loi Elan, votée en 2018, abaisse de 100 % à 20 % le quota de logements accessibles dans les programmes neufs, les autres logements devant simplement répondre à une condition d'évolutivité. « Les objectifs fixés par les lois de 1975 et de 2005 ne sont toujours pas atteints », regrette-t-il. A cet effet, il conseille notamment de procéder à un recensement exhaustif et régulièrement actualisé de l'ensemble des établissements recevant du public (ERP) soumis à l'obligation d'accessibilité (de la 1ère à la 5e catégorie) et de produire des données qualitatives sur leur situation. Il va même plus loin en sommant le gouvernement de « mettre en œuvre des modalités de contrôle » et de « prendre les sanctions appropriées pour ceux qui n'auraient pas respecté ces obligations ».
Education, santé... Des inégalités chroniques
Concernant les élèves en situation de handicap, s'il salue « l'impulsion en faveur de l'école inclusive » -360 000 enfants étaient scolarisés cette année contre 151 500 en 2006- il estime que l'accompagnement humain individuel de chaque enfant ne peut être la seule réponse et pointe « les carences institutionnelles qui imposent également à l'école de s'adapter en formant les enseignants ou en aménageant la scolarité ». Le DDD déplore également les difficultés d'accès aux soins, à l'emploi, à la justice, aux transports, à l'information, à la vie politique, culturelle, sportive et récréative, mais aussi la reconnaissance de la personnalité juridique (tutelles), le droit à la vie, les violations des libertés et de la sécurité des personnes handicapées (placements et traitements involontaires), les conditions de détention des prisonniers handicapés, les violences et maltraitances, le respect de la vie privée, du domicile et de la famille... A ce titre, il requiert notamment l'accessibilité de l'ensemble des opérations électorales à tous les types de handicap, mais aussi de tous les lieux de soins, y compris les cabinets médicaux implantés dans les copropriétés, « en supprimant la procédure dérogatoire spécifique, instituée par la loi ». Il demande également de « prendre les mesures, d'ordre législatif et règlementaire, pour mettre fin aux discriminations à l'égard des élèves handicapés, notamment 'dys', consistant à leur refuser des aménagements d'examens en cohérence avec ceux de leur scolarité » ou encore de « sortir de la précarité les personnes handicapées qui, en raison de leur handicap, ne peuvent subvenir à leurs besoins, en leur garantissant un revenu d'existence adéquat pour leur permettre de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l'égalité avec les autres ». A ce sujet, il réclame également de « mettre fin à la dépendance financière de la personne handicapée à l'égard de son conjoint, en supprimant la prise en compte des ressources de ce dernier dans le calcul de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH)».
Ce rapport, adressé au président de la République et au Premier ministre Jean Castex, s'inscrit dans la perspective de l'examen de la France par le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU. Initialement prévu pour septembre 2020, il a été reporté en raison de la crise sanitaire. Aucune date n'a, pour l'heure, été communiquée.