Discrimination : des enfants handicapés interdits de retour à l’école

Les décisions interdisant aux enfants handicapés de revenir à l'école parce qu'ils seraient incapables de respecter les gestes barrières contre le coronavirus sont discriminatoires.

 

Dans quelques écoles, des enfants se sont vu refuser le droit de revenir à l’école. Motif ? Ils ne sont pas capables d’assurer les gestes barrières. Une discrimination rendue possible par le retard et le flou des consignes de l’Éducation nationale. Les AESH ont également dû attendre la dernière minute pour voir le ministère se pencher sur leur cas.

Alexia ne compte pas en rester là. Jeudi 7 mai, l’enseignant référent pour les élèves en situation de handicap à Cagnes-sur-Mer (Alpes Maritimes) l’a informée que sa fille, Juliette, scolarisée en Ulis, n’était pas autorisée à revenir en classe. Pourtant, son école rouvre ses portes, ce 12 mai, pour les élèves de CP, son niveau, et de CM2.

« Il a justifié sa décision en nous expliquant que Juliette n’est pas capable de respecter les gestes barrière, précise Alexia. D’accord, elle a un retard intellectuel. Mais les crèches et les maternelles vont bien accueillir des enfants, non ? »

Deux familles sur trois contre le retour à l’école

Des centaines d’enfants handicapés ont fait leur retour en classe, sans guère plus d’encombres que leurs petits camarades, ce 12 mai. D’autres, plus nombreux encore vraisemblablement, n’y sont pas allés pas parce que leurs parents ne le souhaitent pas.

« Selon le sondage flash que nous avons réalisé, deux familles d’enfant handicapé sur trois n’envisageaient pas de le remettre à l’école », précise Emmanuel Guichardaz, assesseur de la commission éducation au Conseil national consultatif des personnes handicapées (*).

Mais certains, comme Juliette, la fille d’Alexia, dans les Alpes-Maritimes, se sont heurtés à une fin de non recevoir.

Un refus d’admission confirmé par l’inspecteur


Se laver les mains est l’un des gestes barrières.

Même refus, même motivation, à 1 000 kilomètres de là, en Seine-Maritime. Le directeur de l’école n’accepte pas d’accueillir le fils d’Amandine, 7 ans, autiste, dans son CP. Le motif ? Il ne saura pas respecter les mesures de sécurité. Décision confirmée par l’inspecteur.

« Pourtant, l’AESH de Corentin serait là, précise sa mère. L’éducatrice du Sessad pourrait venir. Et moi, je sais qu’il est en mesure de comprendre et respecter les gestes barrières. »

Des consignes trop tardives

« Ces décisions sont discriminatoires, commente Bénédicte Kail, conseillère nationale éducation familles à APF France handicap. Le problème vient notamment du fait que l’Éducation nationale a tardé à donner des consignes claires sur l’accueil des enfants handicapés. La note nationale attendue n’est tombée que jeudi 7 mai. »

Entre temps, les personnels ont édicté leurs propres règles. Dans l’académie de Normandie, par exemple, la direction des services départementaux de l’Éducation nationale de Seine-Maritime, a mis en ligne, le 6 mai, une fiche de recommandations. « Un élève qui ne serait pas en mesure d’appliquer les gestes barrières malgré l’aide apportée ne pourra pas être accueilli », écrivent les deux conseillers techniques chargés du handicap !

Des formulations demeurent ambigües

La note nationale du 7 mai rectifie le tir. Sans aller au bout de la logique du droit à l’école. « Certaines formulations restent ambigües », déplore Bénédicte Kail. Les élèves (…) « pour lesquels le retour à l’école serait trop perturbant continuent de bénéficier de l’enseignement à distance », précise ainsi le ministère de l’Éducation nationale. Perturbant pour qui ? Pour eux ou pour l’école ?

Et pour les enfants atteints de « troubles moteurs les empêchant de se protéger, le confinement sera maintenu si les aménagements sont impossibles ». Quels aménagements ? Jusqu’à quand ? Ces indications sont d’autant plus étonnantes que le ministère clame que les élèves en situation de handicap seront « prioritaires » pour le retour à l’école.

Sophie Cluzel rappelle la règle


Sophie Cluzel assure que les professionnels accompagneront les enfants handicapés pour qu’ils apprennent les gestes barrières.

« Nous avons fait remonter nos observations sur cette note à la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées », précise Emmanuel Guichardaz. Sophie Cluzel les a visiblement entendues. Elle a en effet été très claire lors de son intervention sur Facebook live, samedi 9 mai (à 23 mn 04 sur la vidéo).

« Les enfants handicapés ne seront pas refusés à l’école parce qu’ils n’arrivent pas encore à s’approprier les gestes barrière, a-t-elle martelé. Nous allons les accompagner pour que, petit à petit, ils se les approprient de plus en plus. » Un argument supplémentaire dans le combat pour les droits de sa fille qu’Alexia entend bien gagner.

 

Rattrapage de dernière minute pour les AESH

Les AESH auront dû attendre la veille de la reprise des cours pour être fixés. Hier, 11 mai, le ministère de l’Éducation nationale a enfin dégainé son protocole sanitaire pour les accompagnants d’élèves en situation de handicap. Jusqu’alors, les documents publiés, y compris la note du 7 mai, évoquaient à peine ces quelque 80 000 professionnels.

« Nous sommes dans une injonction paradoxale, résumait Aurélie, du collectif AESH-AVS en action, interrogée par faire-face.fr avant la sortie du protocole. Faute de consignes particulières, nous sommes censés respecter l’ensemble des règles applicables dans l’école. Y compris rester à distance. Or, par nature même, notre mission nous amène souvent à être proche de nos élèves. »

Le document a au moins le mérite de clarifier certains points. Il prend acte que la distanciation n’est pas possible pour les actes essentiels de la vie quotidienne ou l’accompagnement de certains élèves autistes. Dans ces cas, « un point de situation aura lieu pour définir les modalités de prise en charge (…) en lien étroit avec la famille ». Et l’AESH pourra bénéficier d’un équipement spécifique (lunettes de protection et/ou visière). Ce qui est loin d’être garanti quand on sait que tous n’avaient pas encore de masque, hier, 11 mai.

(*) Ce sondage flash n’a pas la fiabilité d’une enquête statistique mais permet de donner de grandes tendances.

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