"Naturellement isolés", les patients de Nathalie Giloux, cheffe de service à l'hôpital psychiatrique du Vinatier près de Lyon, l'un des plus importants de France, le sont encore plus avec le confinement imposé par le coronavirus.
Fragilité particulière de ces patients, application difficile des mesures de confinement en chambre, risque important de rupture du suivi, risque de transmission nosocomiale du Covid-19 dans les établissements psychiatriques… "Les conséquences de l'épidémie de Covid-19 sur les malades mentaux et les soins psychiatriques sont majeures et alarmantes", alerte l'Académie de médecine dans un communiqué. Mais Nathalie Giloux et son équipe travaillent d'arrache-pied, au quotidien, pour que "personne ne soit abandonné" parmi leurs 1 500 patients suivis à Villeurbanne (69) au sein du Pôle Est de l'hôpital psychiatrique du Vinatier.
Q : Comment s'applique le confinement à l'hôpital ?
R : Il y a interdiction des visites, des permissions, des sorties d'essai pour 24 ou 48h. Les patients ne sortent plus seuls non plus dans le parc mais par groupe de trois avec un membre du personnel. Il n'y a plus de vie collective, les repas sont pris dans les chambres. Mais on veille à ce que nos patients ne soient pas plus repliés que nécessaire car ce sont des personnes naturellement isolées.
Q : Parvenez-vous à maintenir la continuité des soins à l'extérieur ?
R : On s'est beaucoup mobilisé pour maintenir le lien. On les appelle extrêmement souvent. À Villeurbanne, on s'appuie aussi beaucoup sur les infirmiers libéraux pour renforcer les visites à domicile, parfois deux fois par jour, pour aider à la toilette, administrer les traitements, prendre des nouvelles. Ils travaillent comme des bêtes. Et la consultation en ambulatoire n'est pas fermée, seulement limitée, sans thérapie de groupe.
Q : Comment vos patients externalisés encaissent-ils le confinement ?
R : Ça a été calme au début et puis on a été confronté à des situations critiques. Il a fallu accueillir à l'hôpital des patients, déficients mentaux, qui ne tenaient plus dans leurs familles, avec de grosses disputes, des bagarres, même si leur état ne justifiait pas une prise en charge médicale. Il faudrait une unité de répit pour que les familles puissent confier leurs proches un peu difficiles, et souffler.
Q : Le recours aux chambres d'isolement est-il accru ?
R : Dans un contexte de stress, il y a une vraie tentation d'enfermer les gens. Au conseil d'éthique de l'hôpital, que je préside, un médecin nous a soumis le cas d'un patient très perturbé, incapable de respecter le confinement, qui sème la zizanie dans sa famille. Celle-ci réclamait qu'on le boucle mais nous avons donné une réponse négative.
Q : À l'hôpital, a-t-il fallu libérer des lits en raison de l'épidémie ?
R : Oui. Dans mon service, on a dû faire sortir 17 patients en trois jours. Les familles sont plus disponibles avec le confinement pour les reprendre à domicile. Malgré les soutiens qu'on a pu mettre en place, ça ne tient pas toujours.
Q : Quelles protections sont mises en oeuvre contre le virus ?
R : À l'hôpital le dépistage des arrivants est systématique. En consultation, on ne le fait pas, faute de moyens, mais on demande aux patients de se laver les mains, on leur prend la température et on leur donne un masque. Mais les mesures barrière sont très difficiles à appliquer pour certains, surtout ceux qui ont un handicap mental, des troubles du discernement.
Q : Avez-vous des difficultés matérielles ?
R : Comme tous les établissements on manquait de masques, de gel hydroalcoolique. Pour les masques, j'ai eu un coup de chance car on a trouvé un stock 'périmé' qu'on utilise. À Villeurbanne on s'est fait aider aussi par des pharmacies privées. Mais les pénuries de médicaments, les ruptures de stocks, les flux tendus sur les draps, les couvertures, ce n'est pas nouveau même si cela se ressent encore plus aujourd'hui. La crise nous donne une grosse leçon: l'hôpital public n'est pas fait pour être rentable. Cette logique n'est pas d'actualité et n'aurait jamais dû l'être.